Having set out to photograph the beaches of my childhood, from which life had separated me, I discovered something entirely different. Where, at eight years old, I saw only relaxation, the wildness typical of that age, far from the limits and constraints of family, I discovered a regulated world, ordered according to a geometry that repeats itself from the large sandy beaches of the north to the small pebble beaches of the south. I saw the ceremonies that accompany bathing, the towel carefully unfolded before spreading it out, the parasol opened and proudly planted like a flag marking the entrance to a territory, the solitary people, meditative before the immensity of the ocean and what it might evoke for them, God or death, the athletes who run until they lose their breath... 
This long-dreamed-of freedom promised by the beach gradually vanished before the eye of my lens, as photography is truly a revelation. But we can't see or show everything. A photograph is never more than an image in which a fragment of our world is reflected, trembling and uncertain. For I have also sometimes found in my photos a little of that cherished freedom that had rocked my childhood. 
The beach, that long strip of sand stretching for miles or that cove hidden from the crowd, the beach offers a space and a moment of freedom. We come alone, with family, with a group of friends, most often as a couple. The body is king, voices powerful. Scattered like atoms launched into the void of space, human beings seem to no longer know any rules. Here, anything goes. Left to their own devices, beachgoers strike comical or unusual poses. And their strange posture is reminiscent of colonies of marine animals, seals, sea lions, elephant seals. 
The beach is not a place where we live, a place we inhabit: we only pass through. It is a kind of zone located at the edge of the sky, the earth, and the sea, a kind of limbo haunted by almost naked innocents. And then there is the haunting movement of the waves: their music, their slow, hypnotic rhythm in summer, or the thunder of the waves when the wind picks up after the warm weather. Summer and winter, the beach attracts people: people come to see the spectacle: "the sea, the sea, always beginning again," noted Paul Valéry. 
The beach marks the edge of a world, our world: civilization seems to run aground there like a ship on a sandbank. Human beings wander the shores without anyone knowing where they come from, where they're going, or who they are. They are society's castaways. 
Under its air of innocence, the beach also harbors painful memories. Although the tide may pass and repass over the sand, traces of our past remain visible or barely buried, like these bottles or plastic bags, this waste that our society abandons, pieces of wood, crates from who knows where, perhaps from a cargo lost at sea. The beach, this "non-place" without history, as Marc Augé calls it, can actually be explored like a book.
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Mes plages
Parti pour photographier les plages de mon enfance dont la vie m’a éloigné, j’ai découvert tout autre chose. Là où je n’apercevais à huit ans que détente, ensauvagement propre à cet âge, loin des limites et des contraintes de la famille, j’ai découvert un monde réglé, ordonnancé selon une géométrie qui va se répétant des grandes plages de sable fin du nord aux petites plages de galets du sud. J’ai vu les cérémoniels qui accompagnent le bain, la serviette qu’on déplie avec soin avant de l’étendre, le parasol qu’on ouvre et qu’on plante fièrement tel un drapeau qui souligne l’entrée d’un territoire, les solitaires, méditatifs devant l’immensité de l’océan et ce qu’elle peut bien leur évoquer, Dieu ou la mort, les sportifs qui courent à perdre haleine…
Cette liberté tant rêvée que promet la plage s’est peu à peu évanouie sous l’œil de mon objectif tant il est vrai que la photographie est un révélateur. Mais on ne saurait tout voir ni tout montrer. Une photographie n’est jamais qu’une image dans laquelle se reflète, tremblant et incertain, un fragment de notre monde. Car j’ai aussi parfois retrouvé dans mes clichés un peu de cette liberté chérie qui avait bercé mon enfance.

La plage, cette longue bande de sable s’étalant sur des kilomètres ou cette crique cachée au regard de la foule, la plage offre un espace et un moment de liberté. On y vient seul, en famille, avec une bande d’amis, en couple le plus souvent. Le corps est roi, les voix puissantes. Éparpillés tels des atomes lancés dans le vide de l’espace, les êtres humains semblent ne plus connaître aucune règle. Ici tout est permis. Livrés à eux-mêmes les plagistes prennent des poses comiques ou insolites. Et leur posture étrange n’est pas sans rappeler quelques colonies d’animaux marins, phoques, otaries, éléphants de mer.

La plage n’est pas un endroit où l’on vit, un lieu qu’on habite : on n’y fait que passer. C’est une sorte de zone située aux confins du ciel, de la terre et de la mer, une manière de limbes que hantent des innocents presque nus.
Et puis il y a le mouvement lancinant des vagues : leur musique, leur rythme lent et hypnotique en été ou le tonnerre des lames quand le vent se déchaîne passée la belle saison. Été comme hiver la plage attire le monde : les gens viennent au spectacle : « la mer, la mer, toujours recommencée », notait Paul Valéry.

La plage marque la limite d’un monde, notre monde : la civilisation semble s’y échouer à la façon d’un navire sur un banc de sable. Les êtres humains parcourent les rivages sans qu’on sache d’où ils viennent, où ils vont, qui ils sont. Ce sont les naufragés de la société.

Sous ses airs d’innocence, la plage abrite aussi de pénibles souvenirs. La marée a beau passer et repasser sur le sable, les traces de notre passé demeurent visibles ou à peines enfouies comme ces bouteilles ou ces sacs en plastiques, ces déchets que notre société abandonne, des bouts de bois, des caisses venues d’on ne sait où, d’une cargaison perdue en mer peut-être. La plage, ce « non-lieu » sans histoire comme l’appelle Marc Augé, se parcourt en réalité comme un livre.


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